On tient l’anecdote de Bob Arum lui-même, dans une interview accordée à Sports Illustrated. La scène se passe au milieu des années 80, quand Marvin Hagler règne sans partage sur les poids moyens et que le landernau de la boxe bruisse de rumeurs sur un superfight l’opposant au jeune retraité Ray Leonard. La montagne de billets verts à la clé ne peut pas ne pas intéresser Arum, mais il y a un hic, ou plutôt deux. D’une part, Sugar Ray a longtemps fait tourner Hagler en bourrique, soufflant le chaud et le froid à propos d’une confrontation quand il était encore le patron des welters. Et puis « Marvelous » déteste les promoteurs en général et Bob Arum en particulier ; au temps où il était un prospect redouté, il avait dû aller jusqu’à le menacer d’une action en justice pour obtenir enfin une première chance mondiale. Mais Arum a de la suite dans les idées. Il convainc Pat Petronelli, le manager du champion du monde, de le conduire jusqu’au New Hampshire pour sonder son poulain de vive voix. Petronelli se gare dans l’allée de la vaste propriété et les deux hommes conviennent qu’Arum restera dans la voiture pour éviter d’agacer l’ombrageux Marvin.

L’avocat new-yorkais observe la suite à distance : Hagler accueille Pat à l’entrée et tous deux s’installent sur la terrasse. La discussion s’engage de manière détendue puis monte d’un ton : le champion tape littéralement du poing sur la table. Quand Petronelli revient prendre place à ses côtés, Arum suppose que l’affaire est cuite. Le manager le dément : Marvin n’est ni enthousiaste, ni opposé à l’idée d’enfin affronter Leonard. Ce qu’il refuse catégoriquement, c’est la proposition de Pat et son frère Goody, l’entraîneur du champion, de rogner sur leurs 33% habituels de sa bourse pour que le combat puisse se faire. Après tout, chacun y trouverait son compte, on parle d’un montant record chez les poids moyens. Mais la simple idée de revenir sur leur accord initial, jamais formalisé par mieux qu’une poignée de mains, insupporte Hagler. Elle dit tout de la valeur qu’il accordait à la parole donnée comme du lien si particulier qui l’unissait, lui l’enfant sans père d’un ghetto noir du New Jersey, à ces deux frangins italo-américains nés dans une ville tranquille de cols bleus de Nouvelle Angleterre. On ne comprend pas Marvin Hagler sans saisir la nature de ce triangle-là.